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    20 mai 2011

    Des thèmes qui ne m'intéressent pas et peuvent au contraire m'agacer : l'élitisme (un prof de philosophie peut-il aimer une simple coiffeuse ?), le parisianisme (un parisien de bonne société peut-il vivre ou survivre dans une ville de Province ?). Curieux -et obligé de lire- j'ai ouvert tout de même ce livre d'un auteur que je n'avais jamais lu. Le premier chapitre m'a effrayé : en presque dix pages -une ou deux auraient pu suffire-, Philippe Vilain circonvolutionne (quoi ? Le verbe circonvolutionner n'existe pas ? Ah bon ! Tant pis !), tourne autour de la question du choix.

    Son narrateur ne peut s'y résoudre : son indécision chronique et maladive l'empêche de prendre une décision. Pourquoi tomber amoureux et aller vivre avec telle femme alors qu'une autre est tout aussi aimable, tentante et offre une vie différente ? Choisir c'est se priver. "En amour, il m'arrive de penser que je n'ai rien vécu, que j'ai peut-être manqué les choses essentielles, et que si j'ai connu des femmes, si j'ai déjà aimé, je ne me suis jamais résolu à m'engager, à me marier et à fonder une famille, par paresse sans doute, par volonté de ne pas bouleverser ma vie ou de préserver mon indépendance, que sais-je, par indécision aussi, parce que je sens que m'engager ne me satisferait pas plus que ne pas m'engager, et que rien ne me paraît plus absurde que de choisir entre une insatisfaction et une autre" (p.11) (C'est la première phrase du livre, qui donne le ton général du roman.)

    Malgré mes remarques sur les thèmes et ce premier chapitre, il me faut bien admettre que ce roman à beaucoup de qualités.

    D'abord, ce que je craignais n'est pas à l'intérieur. François, le narrateur est toujours respectueux des gens qu'il considère comme inférieurs à lui. Il ne profite pas d'eux cyniquement, il vit auprès d'eux sans vraiment faire partie de leur groupe. Il ne vit pas sa vie, il est partagé en deux comme si son corps agissait par réflexe et son esprit flottait au-dessus de lui, analysant, réfléchissant au bien-fondé de ses actes. Le parisianisme et l'élitisme sont bien sûr présents, mais François souffre plutôt de ne pouvoir s'en défaire.

    Ensuite on sent que l'auteur aime bien ses personnages avec leurs forces et leurs faiblesses et qu'il les pousse dans leurs retranchements. Ils ne sont pas caricaturaux, Jennifer n'est probablement "que coiffeuse" pour la bonne société à laquelle François appartient, néanmoins, elle réfléchit, et si elle n'est pas prof de philo, elle est tout de même capable de faire toucher du doigt à François quelques vérités.

    Enfin, il n'est qu'à lire la très belle écriture de Philippe Vilain pour vous convaincre de la qualité de ce roman. Des phrases souvent longues surtout dans la première partie, celle dans laquelle François se pose beaucoup de questions et n'ose pas s'engager. Plus loin, dans le roman, lorsqu'il sent son attachement possible à Jennifer, les phrases s'épurent, et des dialogues entre eux deux naissent ; elles rythment les actions de François : longues lorsqu'il théorise et allégées lorsqu'il bouge et agit. Mauvais esprit comme je le suis, je vous dirais qu' il y a bien ici et là quelques phrases excessivement longues et absconses, mais supposons que je les ai oubliées, eh bien alors, je me dois de vous dire que j'aime beaucoup cette écriture, et plus généralement, ce roman.